L’église d’Iracoubo
Un joyau de la peinture naïve, dans un petit village isolé.
Mis à jour le 05-10-2016 | Publié le 01-04-2008 - Lu 24 584 fois
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Situé à environ 130 kilomètres de Cayenne et 30 kilomètres après Sinnamary, sur la RN1, en direction de St Laurent du Maroni, la commune d’Iracoubo, implantée au bord du fleuve portant le même nom, fait incontestablement partie des haltes obligatoires. Grâce à son église, classée monument historique depuis 1978, la commune, si elle ne compte pas sur son territoire de vestiges de bagne, recèle néanmoins l’un des plus beaux témoignages de cette page d’histoire : 600 m2 de fresques naïves peintes par le forçat Pierre Huguet.
Située à droite au bord de la route, à la sortie du bourg en direction de St Laurent du Maroni, l’église Saint-Joseph d’Iracoubo, n’a rien extérieurement qui attire l’œil et attise la curiosité. Et pourtant ! Quelle erreur de ne pas prévoir une halte pour découvrir une œuvre étonnante et unique, conçue voilà plus d’un siècle. Née de la volonté d’un homme de caractère, le révérend père Raffray et du talent d’un bagnard, Pierre Huguet, l’église est un petit trésor pictural, naïf et désuet.
Arrivé à Iracoubo le 6 mars 1886, le Révérend Père Prosper Raffray succède à six prêtres qui ont officié jusque là dans cette petite commune, au cours des trente dernières années. Environ 500 à 600 personnes vivent là et le jeune prêtre trouvera auprès de cette population la volonté de faire de ce village, accessible à l’époque uniquement par le fleuve, une cité modèle. Il se lance dans de nouvelles cultures, il décide la construction d’un presbytère, d’une école et surtout d’une église qu’il fait ériger, dès l’année 1887, à la place de l’ancien édifice dédié à Sainte Rose de Lima.
Le plan de l'église a été réalisé par les Travaux Publics - Service des Ponts et Chaussées. La première tranche de travaux a durée 6 ans, de 1887 à 1893. Le 6 janvier 1893 l’église est officiellement bénie et est dédiée à Saint-Joseph mais le 15 février 1890, des baptêmes y furent célébrés.
Sans la volonté du prêtre et la générosité de ses paroissiens, rien n’aurait sans doute été possible. Financièrement, le clergé ne peut fournir les fonds nécessaires à cette construction ; mais le désir de la population est tel que les paroissiens fournissent, d’une part la main d’œuvre, et d’autre part font des dons financiers et matériels qui viennent s’ajouter aux 12 100 francs de subventions diverses et aux 5 000 francs d'offrandes du Père Raffray.
Toutes les structures porteuses sont en bois de Guyane. Les murs sont constitués de remplissage en briques. A l'origine, la toiture était en ardoise.
Les décors intérieurs ne sont réalisés que plus tard et les dates d’exécution des fresques sont longtemps restées dans le flou. En effet, on sait peu de chose sur Pierre Huguet, né vraisemblablement en 1850 à Clermont-Ferrand et condamné, en 1889, à 20 ans de bagne pour vol avec effraction. On ne sait pas exactement à quelle date il réalisa les peintures de l’église Saint-Joseph. Sans doute aux alentours de 1893, date à laquelle il est affecté, selon les registres de l’époque, au camp d’Iracoubo. Champion de la belle, il tentera par six fois de s’évader des geôles de Guyane. Il fut définitivement libéré en 1909.
Pierre Huguet, matricule 23.492, restera longtemps dans l’anonymat et son nom n’apparaît que bien tardivement, seulement en 1977. Jusque là les fresques n’ont pas d’auteur, on sait seulement qu’elles sont l’œuvre d’un bagnard anonyme. Mais des recherches menées depuis dans les différentes archives permettent de rendre à Pierre Huguet la paternité de cette œuvre. Pour ce peintre en bâtiment décrit comme un être frustre, sachant à peine lire et écrire, le travail accompli à Iracoubo est exemplaire. Sûrement guidé par le père Raffray qui avait sans aucun doute une idée très précise de ce qu’il voulait, le peintre-bagnard a réalisé un chef d’œuvre couvrant environ 600 m². Chaque centimètre carré de l’église a reçu le pinceau de l’artiste. N’ayant suivi aucune formation, Huguet choisi un style simple, naïf pour peindre angelots, guirlandes de fleurs, différents personnages de la liturgie chrétienne ou encore un Christ en croix qui orne le plafond. Le travail minutieux de l’artiste est aussi remarquable dans les faux marbres ou les faux bois qu’il a peints. On remarquera également que le milieu guyanais est totalement absent des ces peintures.
Même si l’ensemble est relativement simple : tous les anges ont le même faciès, de nombreux motifs sont reproduits à l’identique à plusieurs reprises, l’ensemble est déconcertant et tous les visiteurs sont séduits. Joyeux, naïf et coloré le travail de Pierre Huguet ne peut laisser indifférent. Peut-être aussi parce qu’il émane d’une "brebis égarée" qui, certains l’ont dit, a expié ses fautes à coups de couleurs et de pinceau…
Depuis sa construction l’église a plusieurs fois été restaurée. Grâce notamment à un classement de l’édifice aux Monuments Historiques, le 8 juin 1978, un programme de rénovation a pu être mis en place. De plus, en 1992, par arrêté préfectoral, la statue en bois polychrome de Saint-Joseph, patron d’Iracoubo, a été inscrit sur l’Inventaire supplémentaire à la liste des objets mobiliers classés parmi les Monuments Historiques. Régulièrement visitée, l’église est ouverte tous les jours de 8 heures à 18 heures.
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